Le Maître des Hautes Coiffes
Ilorin (Kwara State)


Au sein de l’univers foisonnant et subtil des statuettes Ere Ibeji du peuple yoruba, il est donné d’observer un corpus restreint d’œuvres présentant une remarquable unité stylistique, suggérant leur origine commune au sein d'un même atelier, voire, sans doute, de la main d’un seul maître sculpteur.
Jusqu’à ce jour, ces pièces, bien que sporadiquement évoquées dans la littérature spécialisée ainsi que dans divers catalogues de ventes aux enchères, n’avaient fait l’objet d’aucune tentative de regroupement systématique sous une appellation stylistique unifiée.
Dans une démarche que nous souhaitons à la fois rigoureuse et respectueuse de la richesse culturelle yoruba, nous nous proposons de révéler l’existence de cet ensemble demeuré jusqu’alors dispersé, en publiant un certain nombre de statuettes Ere Ibeji présentant des affinités formelles et iconographiques si étroites qu'elles semblent pouvoir être rattachées à un même centre de production, que nous désignerons sous le nom de "Maître des Hautes Coiffes".


L’examen attentif de leurs caractéristiques stylistiques permet d’en situer l’origine dans la sphère culturelle d’Ilorin, au sein de l’actuel État de Kwara, et de dater leur production entre la fin du XIXᵉ siècle et les premières décennies du XXᵉ siècle. Il convient de souligner que ces œuvres se distinguent par une proximité frappante avec les Ibeji du centre de production d’Egbe, dans l’État de Kogi, connus sous l’appellation Egbe Yagba, ce qui témoigne de circulations esthétiques et d’affinités culturelles régionales encore trop peu étudiées.






La singularité des Ere Ibeji attribués à cet atelier réside dans la synthèse particulièrement habile de traits stylistiques empruntés à deux grands foyers artistiques yoruba, Egbe et Ilorin. L’influence d’Egbe y est perceptible mais discrètement intégrée à un ensemble dont l’assise esthétique demeure profondément marquée par la tradition d’Ilorin.
L’élément le plus immédiatement remarquable est constitué par la variation des coiffes, systématiquement interprétées sous la forme de hauts bonnets effilés, référence explicite aux productions de la région de Kwara et aux canons propres au style d’Ilorin. Cette appartenance est corroborée par l’analyse des proportions générales : les statuettes se distinguent par des silhouettes élancées et des dimensions comprises entre 28 et 31 centimètres, en nette opposition avec les Ere Ibeji d’Egbe, dont la taille, plus ramassée, oscille usuellement entre 22 et 25 centimètres.
Enfin, l’observation des visages — lorsque ceux-ci sont conservés dans un état lisible — révèle des traits empreints de sérénité et de douceur, dénués d’emphases sculpturales ou d’ornementations appuyées. Cette retenue formelle, caractéristique des productions d’Ilorin, confirme l'ancrage géographique de l’atelier dans cette sphère culturelle, tout en témoignant d'une capacité d’assimilation sélective des influences périphériques. Dès lors, cet ensemble se présente non seulement comme une manifestation esthétique d’un carrefour régional, mais aussi comme l’expression d'une identité stylistique autonome au sein du foisonnement artistique yoruba.

Le Maître des Hautes Coiffes au Brooklyn Museum
Si l'empreinte d’Ilorin s’impose majoritairement dans l’esthétique du Maître des Hautes Coiffes, certaines influences issues du centre d’Egbe demeurent néanmoins perceptibles et méritent d’être relevées.
Elles se manifestent principalement par la position des mains, posées de part et d’autre de l’ombilic, geste à forte valeur symbolique dans le contexte rituel yoruba.
La forme spécifique des oreilles, ainsi que la structuration générale du corps selon un schéma de rectangle inversé aux coins adoucis, renvoient également à des codes plastiques typiques d’Egbe.
Un autre élément d’intérêt réside dans le traitement des yeux : certaines statuettes présentent en effet l’insertion de perles noires dans les pupilles — procédé visant à renforcer la sacralité des figures.
Bien que cette pratique soit sporadiquement attestée dans certaines productions d’Oyo, elle se distingue ici par l’absence d’inserts métalliques, fréquents dans d’autres zones stylistiques du Yorubaland.
Ce choix souligne à la fois l'attachement à une tradition esthétique spécifique et l'originalité formelle du corpus attribué au Maître des Hautes Coiffes.








Le regroupement et l’étude des Ere Ibeji attribués au Maître des Hautes Coiffes contribuent à enrichir notre compréhension de la diversité et de la complexité du patrimoine artistique yoruba lié au culte des jumeaux.
Ils révèlent l’existence d'ateliers capables d’assimiler des influences multiples pour élaborer un style original, inscrit dans une tradition régionale tout en transcendant les frontières esthétiques établies.
La mise en lumière de cet ensemble, demeuré longtemps dispersé et méconnu, invite ainsi à une réévaluation plus fine des dynamiques de production, de transmission et d’innovation au sein de l’art yoruba des Ere Ibeji.

